Acte 1 - Scène 2
ARGYRIPPE
Argyrippe
(vers quelqu'un qui est resté dans la maison) - Alors, c'est comme
ça ! Tu me fiches à la porte ! Ah ! je suis bien récompensé. Voilà comment
tu es : bonne avec les méchants, méchante avec les bons ! Mais tu le regretteras.
J'irai porter plainte contre toi et contre ta fille. Vous serez jugées, condamnées
pour avoir escroqué un pauvre jeune homme. La mer est moins cruelle que vous
: elle m'avait enrichi et vous, vous m'avez tout mangé. Puisque c'est comme
ça, je veux vous faire tout le mal que je pourrai, tout le mal que tu mérites.
Oui, je veux te ramener à la misère d'où je t'ai tirée. Tu vas voir la différence!
Avant que j'ai connu ta fille, avant que j'en tombe amoureux, tu vivais comme
une miséreuse, vêtue de vieilles nippes, mangeant ton pain noir tout sec,
quand tu en avais; maintenant avec tout ce que je t'ai donné, ça va bien pour
toi ! Et tu me rejettes ! Va, la faim te rendra plus souple. Quant à Philénie,
je ne lui en veux pas. Ce n'est pas elle la coupable : tu commandes, elle
obéit. C'est toi que je punirai comme tu le mérites. Et elle ne répond même
pas, elle n'essaie même pas de calmer ma colère. Ah ! Tout de même, la voilà
qui sort.
Acte 1
- Scène 3
CLEERETE,
ARGYRIPPE
-
Cléérète
- Crie, menace ! Tu es piégé, mon mignon.
-
Argyrippe
- Je vais te traiter comme tu le mérites. Tu vas voir ce qu'il en coûte
de me chasser de cette maison.
-
Cléérète
- Cause toujours.
-
Argyrippe
- C'est moi qui t'ai tirée de la misère, moi seul. Et moi seul je dois posséder
Philénie.
-
Cléérète
- Elle est à toi, à toi seul, je te le promets. Si c'est toi le plus généreux.
-
Argyrippe
- Mais tu n'en as jamais assez. A peine as-tu empoché mon argent que tu
en veux plus encore.
-
Cléérète
- Toi non plus, tu n'en as jamais assez de jouir de Philénie. A peine me
l'as-tu rendue que tu la demandes encore.
-
Argyrippe
- Je t'ai payé le prix !
-
Cléérète
- Et je t'ai envoyé la fille, nous sommes quitte, tu en as eu pour ton argent.
-
Argyrippe
- Tu es vraiment mauvaise.
-
Cléérète
- Tu me reproches de faire mon métier ? On n'a jamais vu une mère maquerelle
faire la délicate avec les clients.
-
Argyrippe
- Tu devrais me ménager.
-
Cléérète
- Te ménager ? Ecoute ! Le client pour nous c'est comme le poisson. Le poisson
c'est tout frais qu'il est délicieux, on peut le mettre à toutes les sauces,
grillé, au four, peu importe, on l'arrange comme on veut. Et c'est le client
tout nouveau, tout frais, qui est merveilleux. Il est toujours prêt à donner.
Tout ce qu'il souhaite c'est qu'on lui demande et il donne, il donne sans
compter. Tout ce qu'il veut c'est plaire. Plaire à Philénie, me plaire à
moi, plaire aux domestiques, plaire aux servantes. Même mon petit chien,
le nouveau client le caresse pour qu'il lui fasse fête quand il arrive.
Et tu voudrais que je te ménage ? Mais chacun ne pense qu'à son intérêt.
-
Argyrippe
- Je ne le sais que trop.
-
Cléérète
- Voilà ! Et comme tu n'as rien, tu voudrais que je te donne Philénie pour
rien. Tu te fais des illusions. !
-
Argyrippe
- Et tout l'argent que je t'ai donné ?
-
Cléérète
- Il est dépensé. Ah ! S'il durait toujours, je t'enverrai Philénie sans
te demander rien de plus. Vois-tu ? l'eau, le soleil, la lune, le jour,
la nuit, c'est gratuit. Mais pas le reste. Si je veux du pain, du vin, il
faut payer. Ici, c'est la même chose.
-
Argyrippe
- Voilà comment tu me parles maintenant que tu m'as mis à sec. Quand j'avais
de l'argent c'était tout différent, tu me cajolais, tu me dorlotais. Toi
et ta fille vous n'aimiez que moi, c'est ce que tu disais. Chaque fois que
j'apportais un cadeau vous me bécotiez toutes les deux. Mes volontés étaient
les vôtres, j'avais à peine le temps de désirer. Si quelque chose me déplaisait
vous faisiez tout pour l'éviter. Et maintenant, ce que je veux ou ne veux
pas, ça vous est bien égal.
-
Cléérète
- Tu n'as rien compris. Je travaille tout à fait comme un oiseleur. Il prépare
le terrain, il y place des graines pour attirer ses proies car on n'a rien
sans rien. Les oiseaux viennent, ils mangent les graines mais quand ils
sont pris quel bénéfice pour l'oiseleur. Ici c'est pareil. C'est moi l'oiseleur,
ma maison c'est le terrain, ma fille est l'appât, le lit est le piège, les
amants sont les oiseaux. On les attire avec un doux accueil, avec des paroles
mielleuses. S'ils touchent le bout du sein tant mieux pour l'oiseleur. S'ils
cueillent le baiser d'amour on n'a même pas besoin de filet pour les prendre.
Et tu ne sais pas ça, toi, un de mes plus anciens élèves ?
-
Argyrippe
- C'est ta faute. Tu renvoies ton élève bien trop tôt.
-
Cléérète
- Tu reviendras quand tu auras de quoi payer les leçons.
-
Argyrippe
- Attends ! Combien veux-tu pour qu'elle soit à moi, à moi tout seul, toute
cette année.
-
Cléérète
- Je te l'ai dit. Parce que c'est toi, disons vingt mines. Mais si un autre
les apporte avant toi, adieu ! (Elle va pour sortir)
-
Argyrippe
- Arrête, j'ai encore quelque chose à te dire.
-
Cléérète
- Tout ce que tu voudras.
-
Argyrippe
- Je ne suis pas tout à fait ruiné. Il me reste… de quoi me ruiner encore
plus. Je peux trouver cet argent. Mais attention, je la possèderai moi tout
seul, elle ne recevra d'autre homme que moi.
-
Cléérète
- Oui, oui. Et même, si tu veux, on castrera les serviteurs. Rédige un contrat,
mets-y les conditions qu'il te plaira. Pourvu que tu apportes l'argent,
je suis d'accord pour tout.
-
(Elle
sort)
-
Argyrippe
- Il faut que je trouve cet argent. C'est une question de vie ou de mort.
Je vais supplier tous mes amis. Et s'il le faut je demanderai de l'argent
aux usuriers.
-
-
Acte
2 - Scène 1